domenica 23 agosto 2015

LE PEUPLE DES LONGUES TÊTES di Adriana Alarco De Zadra (Traduction: Jean Claude Parat)



(Pendant deux années Jean Claude Parat a parcouru à vélo une bonne partie du continent sud américain : Argentine, Chili, Bolivie, Pérou, Uruguay, Paraguay et Brésil. Il a acquis durant ce long voyage une bonne connaissance de ces pays ainsi que de leurs habitants. Passionné de science-fiction et de fantastique, amoureux de la langue espagnol, c’est tout naturellement qu’il en est venu à la traduction d’auteurs sud-américains, et cela dans le seul but de faire découvrir aux lecteurs francophones ces écrivains pour la plupart inconnus mais de grand talent. La plus grande partie de ses traductions ont paru sur le site de Jean-Pierre Planque : Un(e) auteur(e), des nouvelles : http://jplanque.pagesperso-orange.fr/nouvelles.htm.) 


Quand nous sommes arrivés sur la côte, jamais je ne pensais trouver un village aussi étrange. Sur une colline rougeâtre, ses maisons en pierre étaient surmontées d’un haut toit fait de madriers solidement arrimés. J’arrivai accompagnant le groupe qui est descendu de la sierra où se trouve le lac d’eau douce qui est presque aussi grand que cette mer d’eau salée. Nous dormîmes à la belle étoile. 
Les habitants de la côte étaient aimables mais bizarres. Leurs longues têtes se terminaient quasiment en pointe et leurs oreilles ne dépassaient pas. Ils portaient d’étroites tuniques en coton. Ce qui nous surprit le plus, c’était qu’ils volaient. Il y avait la légende des « hommes volants » du bord de mer, mais j’avais toujours pensé qu’il s’agissait d’un mythe ancien et que cela n’avait ni fondement ni consistance. Ainsi j’appris comment se déplaçaient les pierres et les hommes avec le vent.
Je demandai s’ils avaient toujours vécu ici.
Une femme me raconta qu’ils avaient navigué depuis une île lointaine. Là-bas ils avaient laissé d’énormes statues de pierre qui regardaient dans cette direction pour qu’on les retrouve s’ils ne revenaient pas. Ils ne purent pas repartir car une tempête détruisit leurs embarcations, leur matériel et leurs effets personnels, ils périrent presque tous. Quelques-uns en réchappèrent et attendirent qu’on vienne les secourir, mais personne n’arriva de l’île. Ils voulaient rentrer à la maison et ils essayèrent avec des voiles en toile de coton fixées sur des embarcations faites de cannes de joncs tressés, mais ils ne réussirent pas. 
Ils rêvaient de retourner sur leur île en volant. C’était leur but, leur destin, leur plus grand désir. La tradition qui se transmit de pères en fils. Ils essayaient par tous les moyens de naviguer sur les eaux ou dans le ciel vers la terre lointaine.
Cette femme, qui dit s’appeler Nazca, vint vers moi car je demandais avec curiosité de quelle manière ils vivaient dans le village. Elle me raconta comment ils volaient. Pendant qu’elle parlait je la trouvai attirante et même jolie. Elle s’exprimait de façon claire, fascinante et sans bredouiller comme les autres. Elle m’observait avec ses yeux inquiets et moqueurs au milieu de cette longue tête aux rares cheveux clairs et huilés. C’était une femme de commandement, fille d’un cacique. Les autres dans le village lui obéissaient sans broncher. 
Elle répondit à mes questions, me prit en affection et m’emmena par la main jusqu’à sa maison au milieu du bourg, tandis qu’ils logeaient la compagnie au fond du village derrière des murs sans toit. Mais cela n’avait pas d’importance car il ne pleuvait pas et la chaleur du jour était suffocante. Je suis un chasseur jeune et fort et je pouvais dormir à l’air libre avec les plus anciens, mais la femme me l’interdit.
– Vilca, me dit-elle, je veux savoir d’où tu viens.
Je lui racontai alors que dans la sierra des Andes nous chassons pour manger, surtout les cerfs et les oiseaux. Il y a aussi des guanacos et des vigognes sauvages qui nous font cadeau de leurs peaux laineuses pour nous couvrir. Avec d’autres hommes je suis descendu dans les vallées jusqu’à la mer pour chercher de la nourriture. Nous avons changé nos armes de pierre et nos flèches de roseau pour des filets de lianes et nous avons fabriqué des hameçons avec des coquillages et des os pour pêcher. Dans les vallées nous avons découvert des fruits et d’autres animaux qui ne vivent pas là-haut dans les montagnes.
Nazca m’offrit à boire dans un maté et me montra les réserves de haricots et de piment séché au soleil. Ils ne souffrent pas de la faim. Elle sait beaucoup de choses et j’ai un peu appris. Les tissus qui la couvrent et qui décorent sa maison sont merveilleux. Elle s’habille avec des dentelles de coton blanc d’une exquise facture et les tapisseries qui pendent aux murs représentent des oiseaux, des renards, des jaguars et des viscaches multicolores.
C’est là que j’appris à voler, un après-midi, quand le Paraca s’est levé, et la femme m’expliqua que ce vent est béni de tous. Elle me raconta aussi que ses ancêtres sont venus d’autres mondes et sont arrivés sur son île en volant dans un étrange vaisseau, depuis une étoile qui brille la nuit et disparaît le jour. Elle avait hérité d’eux l’instinct du voyage à l’aventure et du vol dans les immensités. Elle avait ça dans le sang. 
Je l’enduisis de sable humide et nous bûmes du jus d’airampo. Je lui fus agréable, la servis, la flattai. Personne ne sait mieux que moi ce que peut vous apprendre une femme d’âge mûr. Je n’eus pas le moindre scrupule à partager sa couche et elle m’expliqua, tandis qu’elle me caressait entre les cuisses et m’embrassait la poitrine et le visage, comment elle avait commencé à voler.
Un jour, alors qu’elle admirait le travail des hommes qui gravaient sur le sol les dessins représentant le mouvement des astres, ils lui amenèrent un siège en roseau. Ils la couvrir d’une énorme toile au tissage serré pour la protéger du soleil et du sable soulevé par la brise. Elle était maintenue au-dessus d’elle grâce à des pieux en bois et, en plus, amarrée avec des cordes qui s’enroulaient autour de la chaise.
– Maintenant tu le sais, dit Nazca, dans cette zone, les après-midi, le Paraca provoque de forts tourbillons. Sans prévenir, la toile qui me couvrait sur la chaise où j’étais assise s’est gonflée, continua-t-elle de m’expliquer, puis elle s’est libérée des pieux et m’a entraînée dans le ciel de l’après-midi tandis que dans le fond se reflétait le rouge du crépuscule avec ce soleil gigantesque qui plonge dans la mer pour se rafraîchir durant la nuit.
– Quelle terrible expérience !
– Ce fut merveilleux. Je saisis les cordes, traversai les airs et pus voir les lignes sur la pampa rougeâtre. C’est ainsi que les hommes terminèrent les dessins : le singe avec la queue enroulée, le colibri, la bécassine, l’araignée et le lézard. Avec les indications que je leur ai données depuis en haut, ils suivent la route des étoiles et indiquent le chemin à suivre pour revenir à la maison.
Peu à peu Nazca apprit à man?uvrer les cordes et à s’élever plus haut sans la chaise de roseau mais seulement avec un siège fait de fils tressés. Elle m’avoua qu’elle avait volé très haut, chaque fois plus haut, dans les après-midi où le Paraca soufflait en tempête, avec d’autant plus de plaisir qu’elle s’éloignait de la terre ferme. De là-haut elle vit la mer avec ses vagues gigantesques, les déserts dans un tourbillon de nuages de sable, les montagnes lointaines, la vallée avec son fleuve aux eaux claires qui descendait en serpentant entre les dunes.
– Peut-être qu’un jour nous pourrons voler jusqu’à notre île, ajouta Nazca en terminant son récit.
Plus tard, avec les autres chasseurs, je revins sur les hauteurs de la sierra. A cause de cette expérience du vol, ils crurent que j’étais un être supérieur. En tant que cacique j’ai pu déplacer les pierres dans les airs et construire des murs. Les femmes tissent des toiles aux fils serrés qui nous servent de voiles dans le vent. Cela je l’ai appris dans le Village des Longues Têtes, en volant dans les airs et en observant les lignes de Nazca d’en haut, une carte de routes avec un but fixe, dans le sable de la côte.
Cependant, durant les essais en l’air, il y eut quelques incidents mortels. Peut-être que certains ne manipulaient pas bien les toiles et les cordes ou alors je n’ai pas su bien enseigner la technique. Toujours est-il que certains tombèrent puis d’autres d’une grande hauteur sur les pierres et y restèrent. Une fois passé ce temps de malheur, ils oublièrent de voler. La crainte mystique s’était emparée d’eux, la terreur de l’inconnu, l’épouvante de celui qui affronte le soleil et sera châtié. Je n’insistai pas pour ne pas causer d’autres morts.
Les années passèrent, j’envoyai un groupe jusqu’à la côte et leur demandai de s’approcher du Village des Longues Têtes. Ils le trouvèrent mais il n’y avait plus personne. Il était vide. Peut-être sont-ils revenus sur leur île ; peut-être ont-ils réalisé leur souhait de tant d’années et sont-ils repartis vers leur village natal en volant, leurs toiles au vent. J’espère seulement que l’art de voler ne se perde pas dans les méandres du temps.

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