SERENA GENTILHOMME
Moi, Salvatore,
ton Sauveur
Ma Maria,
Tout va bien.
08h00 :
emmené notre enfant à la crèche.
08h30 :
retour chez nous.
08h33 :
debout devant la porte béante de la salle de bain, je t’entends gueuler, sous
la douche, notre chanson, Ti amo, dont, désormais, je ne suis plus
le destinataire. Toi, tu ne me vois pas, moi, si, malheureusement :
derrière le rideau en plastique, tu te déhanches dans une danse obscène – digne
de ces putes étrangères qui nous infestent, transformant notre beau pays en
bordel. Je me sens plongé dans un de ces cauchemars où les choses et les
visages familiers se font méconnaissables, comme ta voix, devenue
insupportablement vulgaire depuis que tu as commencé à me tromper avec
n’importe qui, via cet engin du diable qu’est Facebook.
Mais pourquoi
nous as-tu tellement crottés, notre enfant, ce petit ange, et moi ?
Pourquoi nous avoir traînés dans la boue t’exhibant sur ce réseau social –
dont, par bonheur, j’ai réussi à te soutirer le mot de passe – où de
tristes individus, soi-disant amis, t’envoient des messages honteux, avec des
cœurs et de petits visages grotesques souriant au milieu de nounours volants ?
Que manquait-il à ton parfait bonheur ?
Je vais te le
dire, moi : rien, même que tu as été protégée par moi comme nulle autre
femme. Qui peut se vanter d’avoir un mari qui, malgré son quotidien surchargé –
un pompier étant sollicité à tout moment
du jour et de la nuit – t’assistait en
tout, payait toutes nos factures, celles du boulanger comme celles du médecin,
chez lequel je t’accompagnais, exigeant d’assister à tes visites afin de
préserver ta pudeur d’épouse et de mère, ces titres sacrosaints que tu as
obtenus grâce à moi et que tu as honteusement piétinés ? Je t’épargnais
même la peine de te rendre chez le coiffeur, puisque le fait de te couper les
cheveux moi-même, en plus d’épargner mon argent, me rendait fou de désir :
rasée, ta petite tête ressemblait à celle des religieuses chez lesquelles j’ai
été élevé jusqu’à mon adoption – enfin, j’imagine, car je ne les ai jamais vues
sans voile, malgré mes efforts de les épier quand elles allaient se coucher.
08h35 :
allé chercher le chapelet accroché aux mains de la statuette qui surplombe
notre lit, celle de la Madone Aux Sept Douleurs, avec ses poignards plantés
dans la blancheur immaculée de sa robe couvrant des seins que j’ai toujours
devinés : hauts et fermes, pleins de promesses maternelles, comme les
tiens, dévoilés la première nuit de mariage et…
08h37 :
récitant le chapelet, je contemple tes formes impertinentes, remuant sous le
jet que je ressens de plus en plus chaud, pire que le sperme tes bâtards
d’amants. À mon corps défendant, je pleure, car, dans quelques minutes, tu
n’existeras plus sur terre. Ce sera horrible, pour moi et pour notre enfant –
pour lui, surtout –, mais, au moins, je t’aurai évité la mort la plus néfaste,
celle de ton âme !
Dans l’église de
mon village, en Italie du Sud, il y a une fresque exemplaire, où les Anges du
Paradis et la Madone réservent leur meilleur accueil aux Mamans et aux Épouses
Fidèles. Tout en bas, les salopes adultères et leurs salauds rôtissent dans les
flammes de l’enfer, embrochés par les diables. Ça, c’est de la vérité
évangélique, comme je te l’ai toujours répété, et toi, tu étais d’accord sur ce
principe… Enfin, tu avais l’air d’être d’accord, au début de notre mariage.
Désormais, je me dis que, chez toi, tout était fausseté et hypocrisie, ce à
quoi j’aurais pu m’y attendre, mais comment savoir ce que cache une apparence,
quand on croit avoir trouvé Celle qu’on a toujours recherchée? La première fois
que je t’ai vue, toi – ni belle ni moche, cheveux courts mal coupés, pas de
maquillage, petits yeux myopes irradiant une douceur infinie par-derrière
d’épaisses lunettes, fagotée dans des vêtements démodés – je t’ai de suite
identifiée à l’épouse idéale, la DDD de mes rêves : Dévouée, Discrète,
Docile…
Façonnable à
l’envi.
Après notre
premier baiser d’amour, tu m’as avoué que tu n’étais plus vierge. J’ai été
épouvantablement déçu, mais je me suis dit que j’avais une vie entière devant
moi pour te façonner, même si, la première nuit de mariage, j’ai vu qu’il y
avait du boulot, de ce côté-là : violemment enfourchée, tu bavais de
plaisir, tortillant du cul et râlant des mots genre encore, encore, je viens,
je viens, des trucs dignes des films porno, et je sais ce que je dis, j’en
connais tout un rayon… Le jour d’après, je t’ai dit qu’il fallait que tu te
donnes une contenance quand on faisait la chose, et toi, en femme amoureuse –
au moins au début de notre mariage – tu as cherché à rester calme et passive,
avec un sourire de résignation souffrante peint sur ton visage, identique à
celui de la Madone Douloureuse qui a toujours veillé sur nos nuits consacrées
par notre lien indissoluble.
Après, notre
enfant est venu bénir notre union, accouché dans la douleur, comme la Bible
l’impose. Comme on m’avait prévenu que tu voulais la péridurale, je me suis
précipité dans la salle de travail en temps utile pour empêcher ce sacrilège,
conscient, quand même, que tu avais commencé à glisser sur la pente du péché,
en chute libre. Pour réparer, j’ai décidé de te refaire un enfant, me sentant
impuissant, dans le sens que mon contrôle sur toi m’échappait. Sexuellement, en
revanche, j’étais en forme olympique : jamais je n’ai mieux bandé que
pendant ces nuits où je te possédais, toi, absente et rétive, me donnant –
enfin ! – la merveilleuse sensation de violer une vierge récalcitrante,
toute à son sacrifice.
Mon bonheur
n’aura duré que peu de temps, jusqu’au jour où j’ai découvert que tu prenais la
pilule en cachette. Je suis allé demander des explications à notre médecin qui
s’est bien gardé de m’en donner, sous prétexte du secret professionnel. En
revanche, il m’a prescrit des sédatifs que je me suis bien gardé de prendre,
même si le stress me dévastait, songeant à ton âme souillée… Le jour d’après,
j’ai même affronté l’humiliation d’aller chercher Monsieur le Curé dans sa
sacristie pour savoir ce que tu avais pu lui raconter, mais celui-là m’a sorti
un autre secret, celui de la confesse. Je me suis abaissé jusqu’à le supplier à
genoux, lui notifiant que sa mission est celle de sauver l’âme du pécheur en
général et la tienne en particulier, alors il m’a répondu une chose que je
savais déjà, que l’Époux doit aimer son Épouse comme le Christ son Église, ce à
quoi j’ai riposté que si l’Église n’est plus obéissante au Christ, celui-ci a
bien le droit de la punir comme il faut, oui ou merde ? Souriant, Monsieur
le Curé m’a dit d’éviter les gros mots et de m’en aller dans la paix du
Seigneur. Puis, il a commencé à donner des ordres au sacristain sur comment
décorer l’église pour le Saint Noël, mais, comme je ne partais pas, il m’a
proposé sa bénédiction que j’ai refusée, bien sûr. Déçu et plein de haine, je
suis rentré chez nous, où je t’ai surprise une fois de plus en train de chatter
sur ce réseau de merde : éclairé par la lueur livide de l’ordinateur, ton
sourire hébété, indécent, m’a donné envie de vomir, et ce fut la tête dans la
cuvette, entre deux régurgitations de bile, que je pris ma décision
ultime : conformément à mon nom de baptême, Salvatore, je serai ton
Sauveur, vu que les autorités compétentes en matière de corps et d’âme avaient
refusé de m’aider, se cachant derrière tous ces secrets à la con.
Après cette
résolution, je me suis senti en paix, comme je ne l’avais plus été depuis
longtemps – calme et détaché, mon esprit s’était composé dans l’invincible
patience du Rédempteur. Nuit après nuit, tout au long des heures les plus
noires et les plus froides de cet hiver, je suis resté assis sur le balcon de
notre chambre, attendant que tu en finisses avec tes sales bavardages.
Frissonnant, je fixais un point au-delà des champs qui traînent leur
platitude jusqu’à l’horizon : là
dort un canal plein de boue, presque invisible de la route à cause des
buissons, mais, pour peu qu’on sache qu’il existe, on peut très bien le
surveiller de chez nous. Ce serait ma façon de te tenir constamment sous mon
regard : pendant que ton corps se délitera dans la vase, ton âme se
purifiera grâce à mes prières, jusqu’à l’instant où elle deviendra aussi
luisante qu’une étoile dans une nuit sans lune.
Ça y est. La
douche se tait. Tu ne chantes plus. Dans quelques secondes tu sortiras,
resplendissante dans ta nudité qui n’est plus la mienne et qui revêt une âme
purulente… Avant de t’étrangler, je te ferai réciter l’Acte de Contrition
jusqu’au bout, cherchant à ne pas me faire apitoyer par ton désarroi, par ta terreur,
mais, dis-moi, ma Marie, que sont quelques instants atroces sur terre par
rapport à une éternité de flammes et de tourments ? Grâce à moi, tu
passeras tout au plus quelques millénaires au Purgatoire, une vétille…
………………………………………………………………………………..
Tout va bien.
La chose a été
plus rapide et plus facile que prévu : l’effet surprise, sans doute.
8h43 : âme
épouse sauvée
9h35 :
retour chez nous
9h40 :
nourri lapins et poules
9h45 :
connexion au site Rencontres catholiques
que je fréquente depuis toujours et où j’ai posté cette annonce :
Homme seul, sapeur pompier, très croyant
et fidèle, cherche femme vierge si possible, catholique pratiquante, simple,
maternelle et sans ambitions professionnelles.
Parcourant la
liste des profils, je vibre de satisfaction : nombreuses sont les femmes
dignes de moi qui m’ont répondu, mais j’ai déjà repéré ma préférée, une ni
belle ni moche, mal coiffée, mal habillée, aux yeux très doux derrière ses
lunettes de myope…
Façonnable à
l’envi.
DANIEL FRINI
LETTRE OUVERTE A DIEU
Monsieur qui êtes au ciel,
Au nom de tous les hommes qui habitent ce
monde – le vôtre – je me permets de m'adresser à votre très haute
Divinité avec l'objet suivant :
— exiger la restitution de la côte que Vous
avez soustraite à notre père Adam, alors que celui-ci se reposait au centre de
loisirs connu sous le nom d'Eden, et
—
faire en sorte que l'Histoire reprenne son cours à partir de l'instant précis
qui a précédé ce malencontreux événement.
Nous
exigeons également l'indemnisation correspondante, plus les intérêts échus
depuis la création (conformément aux calculs de l'archevêque Ussher datant de
quatre mil quatre avant la naissance de Votre Fils), ainsi que les honoraires
et les coûts afférents. Nous nous réservons, en outre, le droit d'intenter,
devant les tribunaux du Ciel que vous dirigez, les actions au pénal
correspondantes afin d'obtenir compensation pour l'acte répréhensible que vous
avez commis et que nous considérons bel et bien comme un vol. Nous sommes
certains que Votre Infinie Sagesse n'interférera pas dans l'administration de
la Justice.
J'insiste
sur le fait que la côte d'Adam, notre côte, nous a été soustraite, volée,
dérobée, escroquée. Et, ce qui est bien pire, abusivement utilisée pour créer
un triste personnage lequel n'a, depuis lors, fait que perturber le cours
normal et paisible de la vie de l'homme.
Notre père Adam était très bien tout seul, et nous sommes
certains que Vous l'aviez doté de l'intelligence qui lui permettait d'assurer
lui-même la satisfaction de ses besoins sans qu'intervienne dans Votre Création
un nouveau personnage qui n'a fait que brouiller les pistes et qui Vous a,
entre autres, fait perdre le contact avec l'excellent produit sorti de Vos
mains. Nous n'en doutons pas. Vous avez agi correctement en expulsant Adam et
la mégère, puisqu'il ne Vous restait pas d'autre possibilité, compte tenu de la
règle régissant Votre ciel. Mais nous sommes convaincus que ce choix vous
aurait été épargné si la susdite avait eu un autre comportement.
Confiant en votre discernement.
(Traduction : Pierre Jean Brouillaud)
Né dans la province
de Cordoba (Argentine) en 1963, Daniel Frini est ingénieur en mécanique et
électronique. Il collabore à la revue en ligne AXXON. Ses récits sont publiés
dans différents pays et, notamment, sur le site UN(E) AUTEUR(E), DES NOUVELLES.
Pierre Jean Brouillaud
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Non
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Sans objet
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Pourcentage
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Votre
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L'appréciation
établie par un organisme habilité
60 % Identification de l'organisme habilité
IDS
2- GREFFES ET
TRANSPLANTATIONS
Taux de
substitution (sous-ensemble à calculer) Organes ou éléments substitués. (Au besoin faire apparaître la liste déroulante) :
Taux de 0 %.
Compliments !
3- POLLUTION DE
VOTRE ENVIRONNEMENT
Classement de la
zone habitée. Sélectionnez la case qui convient ZONE 1 ZONE 2 ZONE 3
Classement de la zone où vous exercez vos activités professionnelles
ZONE 1 ZONE 2 ZONE 3
Combien de jours par an portez-vous le masque AP ?
A l'extérieur: de 0 à 100 jours de 100 à 200 jours de 200 à 300 jours ou plus
Cures de dé-pollution suivies
De 1 à 5 Plus de 5
Date des cures suivies
25-30/05/24 08-13/08/26 11-16/11/27
Résultat (votre appréciation)
Excellent Bon Moyen Médiocre
3- RISQUES
D'ACCIDENT (votre évaluation) en pourcentage
De la
circulation automobile De 10 à 30% , de 30 à 50 % de 50 à 75 % Plus de 75%
Rappel des valeurs moyennes :
de 43 à 48 %
Des autres modes de transport
de 10 à 30 % Plus de 30%
Rappel des valeurs moyennes
de 25 à 28 %
Risque de blessures graves dues à une agression
de 0 à 25 % de 25 à 50 % de 50 à 75% plus de 75 %
Rappel des valeurs moyennes
de 25 à 42%
PATIENTEZ. Nous
calculons votre fourchette.
Vous utilisez un
logiciel DATELIFE disponible 24 heures sur 24 avec accès direct.
Ne vous laissez
pas surprendre.
Avez-vous pris
vos dispositions ? DATELINE est là pour vous aider
Attention !
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RispondiEliminaBelli e con un sottile umore nero i tre racconti dagli amici Daniel, Serena e Pierre. Complimenti!
RispondiEliminaAdriana Alarco