Aujourd’hui, j’ai mangé mon grand-père.
Enfin, une partie. La plus tendre, si on peut dire que soit tendre un morceau de fesse plissée et l’arrière d’une cuisse qui ne vaut guère mieux. C’est que grand-père, il doit bien avoir... voyons – pas loin de quatre-vingt-dix. Peut-être quatre-vingt-huit ou quatre-vingt-neuf, je ne sais plus. L’ennui, quand le temps a choisi de s’immobiliser, c’est que le passé se perd dans le brouillard, qu’on s’emmêle les pinceaux avec les dates.
Il n’a pas protesté, le papy, il n’a pas fait un geste quand je lui ai baissé le pantalon et ce qui restait d’un caleçon pourri adhérant à sa chair. Il n’a pas bougé quand j’ai commencé à mâcher ses muscles racornis. Il ne sentait rien, pardi. C’est l’avantage, quand on est mort. On ne sent plus rien.
C’est marrant, quand j’étais gosse, bien avant que… Bien avant, quoi, grand-père, si je réclamais à bouffer entre l’heure des repas, avait l’habitude de me balancer : « Mange ta main et garde l’autre pour demain ».
Il ne croyait pas si bien dire.
Enfin, une partie. La plus tendre, si on peut dire que soit tendre un morceau de fesse plissée et l’arrière d’une cuisse qui ne vaut guère mieux. C’est que grand-père, il doit bien avoir... voyons – pas loin de quatre-vingt-dix. Peut-être quatre-vingt-huit ou quatre-vingt-neuf, je ne sais plus. L’ennui, quand le temps a choisi de s’immobiliser, c’est que le passé se perd dans le brouillard, qu’on s’emmêle les pinceaux avec les dates.
Il n’a pas protesté, le papy, il n’a pas fait un geste quand je lui ai baissé le pantalon et ce qui restait d’un caleçon pourri adhérant à sa chair. Il n’a pas bougé quand j’ai commencé à mâcher ses muscles racornis. Il ne sentait rien, pardi. C’est l’avantage, quand on est mort. On ne sent plus rien.
C’est marrant, quand j’étais gosse, bien avant que… Bien avant, quoi, grand-père, si je réclamais à bouffer entre l’heure des repas, avait l’habitude de me balancer : « Mange ta main et garde l’autre pour demain ».
Il ne croyait pas si bien dire.
*
Grand-père est venu
habiter à la maison longtemps après que maman… Mais je mets la charrue avant
les bœufs. Donc je vais tout reprendre depuis le commencement. Ça a démarré
pour nous quand papa n’est pas rentré. Quand, maman et moi, on a compris qu’il
ne rentrerait plus. C’était au début, au tout début, j’avais douze ans,
peut-être treize. Ou quatorze. Vous voyez bien que tout s’embrouille ! Une
histoire de neurones que les axones ne relaient plus aussi bien que lorsqu’on
est… entier, si je peux dire.
C’était au début, au tout début. Papa s’absentait une partie de la semaine, il faisait le département, à essayer de placer aux résidences secondaires les œuvres d’art soldées qu’il se procurait par lots de dix à prix de gros dans des ateliers tenus par des Chinois. Je crois que c’étaient des Chinois. Et un jour, je veux dire un soir, il n’est pas rentré. Son portable sonnait dans le vide, jusqu'au moment où il n’a plus sonné du tout. Je ne m’en souviens pas, évidemment. C’est maman qui me l’a raconté. Avant qu’elle-même…
Évidemment, on n’a jamais exactement su ce qu’il lui était arrivé, à papa.
Bah, ce n’est pas très difficile à deviner.
C’était au début, au tout début. Papa s’absentait une partie de la semaine, il faisait le département, à essayer de placer aux résidences secondaires les œuvres d’art soldées qu’il se procurait par lots de dix à prix de gros dans des ateliers tenus par des Chinois. Je crois que c’étaient des Chinois. Et un jour, je veux dire un soir, il n’est pas rentré. Son portable sonnait dans le vide, jusqu'au moment où il n’a plus sonné du tout. Je ne m’en souviens pas, évidemment. C’est maman qui me l’a raconté. Avant qu’elle-même…
Évidemment, on n’a jamais exactement su ce qu’il lui était arrivé, à papa.
Bah, ce n’est pas très difficile à deviner.
*
C’est à la campagne que ça a commencé. Dans les petits
villages. Je veux dire les cimetières des petits villages. Pourquoi ? Je
n’en sais rien. Personne n’en sait rien. Peut-être qu’on y enterrait encore les
morts proprement. Bien
habillés, bien peignés, pommadés. Pas à la va-vite, comme dans les grandes
villes. Et je ne parle pas de la crémation.
La crémation… Quelle horreur ! J’en ai vu sortir du four à moitié consumés, dévorés par les flammes, les côtes à nu, le buste accroché au bassin par la colonne vertébrale, les jambes en allumettes noircies. Pitoyables, tenant à peine debout, fumant comme un cigare qui se consume. Et puant la carne brûlée. Mais tant que le cerveau n’est pas touché…
Eux, au moins, peuvent être assurés de durer longtemps, longtemps, tant qu’ils ne se désagrègent pas. Parce qu’il nous est impossible d’ingérer de la viande cuite. Seulement la viande crue.
La crémation… Quelle horreur ! J’en ai vu sortir du four à moitié consumés, dévorés par les flammes, les côtes à nu, le buste accroché au bassin par la colonne vertébrale, les jambes en allumettes noircies. Pitoyables, tenant à peine debout, fumant comme un cigare qui se consume. Et puant la carne brûlée. Mais tant que le cerveau n’est pas touché…
Eux, au moins, peuvent être assurés de durer longtemps, longtemps, tant qu’ils ne se désagrègent pas. Parce qu’il nous est impossible d’ingérer de la viande cuite. Seulement la viande crue.
*
Il y a cette phrase que j’ai souvent entendue
dans ma vie : « On s’habitue à tout ». Moi, en tout cas, je me
suis habitué assez vite. Parce que, lorsque je suis devenu… ce que je suis
devenu, j’étais encore jeune ? Probable. Avec un cerveau pas encore
complètement formé, pas encore rempli de ces petites cases inamovibles qui font
qu’un adulte est un adulte. Des adultes, j’en ai vu de véritablement enragés en
comprenant qu’une fois passés d’un état à un autre, il n’y avait pas de retour
en arrière possible. Hurlant, se tapant la tête contre les murs (pleurer, ce
n’était plus possible), tentant de se suicider. Pas possible non plus,
puisqu’ils étaient déjà morts.
Morts… ou morts-vivants, comme on voudra.
Morts… ou morts-vivants, comme on voudra.
*
Parce que sincèrement, où est la
différence ? Une fois passé d’un état à un autre, on vit (ou on
mort-vit) presque comme avant. Presque. Évidemment, on ne respire plus, puisque
nos poumons ne fonctionnent plus et que c’est notre peau qui a pris le relais.
Comme chez les insectes. Évidemment, notre cœur ne bat plus. Mais qui peut
prétendre qu’il se soit soucié des battements de son cœur ? Évidemment, on
ne parvient plus à parler… encore une histoire de souffle, ou d’air qui ne
passe plus dans la trachée. Et quand on essaye, tout ce qui vous sort du
gosier, c’est un drôle de bruit de papier froissé. Arrrhhhh… arhhhhhh… Ce genre
de bruit. Mais ce n’est pas pour autant qu’on ne parvient plus à se comprendre.
Question d’expression, de geste, de posture.
Quand j’ai commencé à manger grand-père, il a très bien compris.
*
La différence principale, en fait, c’est ça.
La nourriture. Nous ne pouvons plus manger que des… Vous savez bien. Une
question d’assimilation, je crois. Une fois qu’on a été mordu, même un peu — il
suffit que la peau ait été arrachée sur quelques centimètres, que la salive de
celui qui vous mort coule dans la plaie avec tous les nécrovirus qu’elle
contient — et ça y est, on se transforme. Ce qu’on avalait, ce
qu’on digérait auparavant, ça ne passe plus. On s’en rend vite compte. C’est au
moins une chose dont je me souviens. Je me sentais mal avec mon épaule toute
déchiquetée, et j’avais voulu manger un reste de pizza qui traînait dans le
frigo. Terrible. L’impression que mon estomac se retournait, comme une
chaussette qu’on met à l’envers pour la garder encore quelques jours avant de
la mettre au lavage. J’avais
dégueulé la pizza sur le carrelage de la cuisine. Ma mère m’avait regardé d’une
drôle de façon. Elle m’avait dit… elle m’avait dit : Arrrhhhhh. Et elle s’était
avancée vers moi, les mains tendues, comme pour m’enlacer, me serrer sur son
cœur. Je m’étais sauvé pour aller rôder dans les rues du quartier. Même à
l’époque, on ne rencontrait déjà plus guère de… de normaux. De vivants. C’est
allé si vite ! Et pas plus de non-vivants, qui ont eux aussi fini par se
manger les uns les autres. Comme disait grand-père : Faute de grives…
C’est en zonant en ville que j’ai ressenti pour la première fois cette faim dévorante s’installer dans mes entrailles. Cette faim à nulle autre pareille qui est désormais mon quotidien. Cette faim à hurler, comme le loup dans les bois. Alors j’ai marché, marché, cherché, cherché. Et j’ai fini par trouver un gamin, un plus jeune que moi, qui avait dû comme moi préférer foutre le camp de chez lui. Je l’ai attrapé, je l’ai mangé. Enfin… j’en ai mangé une partie.
Après, ça allait mieux.
C’est en zonant en ville que j’ai ressenti pour la première fois cette faim dévorante s’installer dans mes entrailles. Cette faim à nulle autre pareille qui est désormais mon quotidien. Cette faim à hurler, comme le loup dans les bois. Alors j’ai marché, marché, cherché, cherché. Et j’ai fini par trouver un gamin, un plus jeune que moi, qui avait dû comme moi préférer foutre le camp de chez lui. Je l’ai attrapé, je l’ai mangé. Enfin… j’en ai mangé une partie.
Après, ça allait mieux.
*
Manger. Quand on est passé de l’autre côté, on
ne pense plus qu’à ça. Il nous faut manger. Tout le temps. Comme un oiseau, qui brûle
tant d’énergie à voler qu’il doit reconstituer continuellement ses réserves.
Nous, c’est pareil. On doit manger. Sinon, on se délite petit à petit, on pèle
par plaques. Moi, je viens de remettre ça avec grand-père. Arrrhhhhh ? L’autre fesse, l’autre cuisse. Arrrhhhhh,
merci. Qu’est-ce que j’aurais pu me mettre d’autre sous la dent, je vous le
demande ? Le quartier est désert, maintenant. Complètement
désert. Plus de vivants, plus de morts-vivants non plus, aussi loin que je
puisse aller. Le boucher a mangé sa femme, avant d’être
mangé par la famille du courtier en assurances qui habite au-dessus de sa
boutique. La famille du courtier s’est mangée jusqu’à ce qu’il ne reste plus
que le père – ou la mère, qu’importe – dont la seule préoccupation sera de
chercher qui manger. L’épicier du coin ? Il a été mangé par sa fille
aînée, elle-même mangée par le clochard qui avait pour habitude de dormir sous
le porche de la Banque du Commerce et de l’Industrie. Lequel a servi de repas
gratis à une bande de la cité des Tourterelles. Qui s’est ensuite entre-dévorée
jusqu’à l’os du dernier non-survivant. C’est comme ça. Pierre mange Paul avant
d’être mangé par Françoise qui sera mangée par Célestin, et ainsi de suite.
C’est comme ça.
C’est comme ça.
*
Dans les premiers
temps, on a du mal à s’y faire. Manger
un étranger (avant qu’il ne vous bouffe), passe encore. Mais un proche ?
Quelqu’un de sa famille ? On a du mal. Lorsque nous avons été certains que
papa ne rentrerait pas, maman a bien dû se décider à sortir, pour chercher de
la nourriture. Je veux dire : des aliments normaux, puisque nous
étions encore normaux, maman et moi. Malgré le bordel qui régnait en ville,
elle sortait. Et un jour… un jour, j’ai bien remarqué qu’elle n’était plus tout
à fait la même. Le teint pâle, les yeux glaireux. Et tout un côté de sa robe
déchirée, avec des morceaux de chair qui pendouillaient. Je me suis dit
« Ça y est. » Pendant quelques jours, maman est restée… ma maman.
Mais avec des attentions de plus en plus affirmée. Elle me prenait dans ses
bras pour un oui pour un non, elle m’embrassait, me reniflait, elle me léchait
les joues avec sa vilaine langue devenue toute noire, m’envoyant en pleine
figure son haleine qui puait la charogne: Arrrhhhh, arrrhhhhh… Jusqu’à ce qu’arrive le moment où elle a
craqué et a commencé à me mordre. À me déchiqueter l’épaule, pour y boulotter
sa livre de viande. Maman, maman, mais qu’est-ce tu fais ? Tu parles.
Je savais bien ce qu’elle faisait. Quand j’ai pu me dégager en la rouant de
coups de poing et de coups de pied, c’était trop tard. J’avais franchi le cap, j’étais passé de
l’autre côté. Et ma faim a commencé à grandir, à me consumer l’intérieur des
boyaux. Pas une faim de pizza ruisselante de fromage, de
bifteck haché avec un œuf à cheval, de corn-flakes par tombereaux, de barres
chocolatées à s’en mettre plein les doigts, non. Une faim de loup, une faim de…
Et c’est comme ça que j’ai mangé ma mère.
Et c’est comme ça que j’ai mangé ma mère.
*
Ça ne s’est pas fait en un seul repas, je vous
prie de le croire. Pendant des jours, ou peut-être bien des semaines,
c’était à qui mangerait l’autre. J’avais douze ans. Ou treize, ou quatorze, je
ne sais plus. Mais j’étais déjà un gars costaud, capable de fiche la trempe à
de plus grands que moi dans la cour de récré. Et
maman était une frêle petite bonne femme que le vent aurait emportée. J’ai fini
par prendre le dessus. Les joues, les seins, le ventre, les fesses, les
cuisses… Arrrhhhh, arrrhhhhh… (Traduction : « Je suis désolé, maman
mais je ne peux pas faire autrement »). Les tripes, le foie, les lobes
pulmonaires desséchés, les doigts de pied un par un en rongeant bien le
pourtour des osselets. Et le
plus important : la cervelle. Jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un squelette
entièrement récuré étalé sur la moquette. Et qui semblait me
regarder avec reproche du fond de ses orbites caverneuses. C’était gênant, je
me suis résolu à le dépareiller et à tout balancer par la fenêtre.
Et le temps a continué de s’immobiliser.
Et le temps a continué de s’immobiliser.
*
Pendant des mois, mais
si ça se trouve je pourrais aussi bien parler d’années, j’ai survéc…
oups ! Je veux dire : j’ai résisté. En patrouillant de plus en plus
loin dans la périphérie, la grande banlieue, j’arrivais à trouver de quoi
manger. Ceux qui se cachaient dans les caves, les entrepôts, les grandes surfaces.
J’étais un petit malin, on ne se méfiait pas de moi. Petit, ce n’est pas un mot
en l’air. J’étais costaud, c’est vrai, mais n’oublions pas que j’avais douze
ans, peut-être treize, au maximum quatorze quand c’est arrivé. Aujourd’hui,
j’ai toujours le même âge. Qu’est-ce que vous croyez ? Un mort, ça ne vieillit pas, ça ne grandit
pas.
Ça reste.
Ça reste.
*
À un moment ou un autre, grand-père s’est
pointé à la maison. Arrrhhhh… arrrhhhh… arrrhhhh…. (Traduction :
« Je ne voulais pas te laisser seul, mon petit. Dans les circonstances
présentes, il vaut mieux se serrer les coudes »). Arrrhhhh…
(« Pourquoi grand-mère n’est pas avec toi ? ») Grand-père n’a
pas eu besoin de répondre, j’avais compris. Pendant quelques jours, ou quelques
semaines, ou plus, je l’ai accepté. Il n’était pas beau à voir avec ses
vêtements en charpie, son teint de charbonnier, son crâne qui laissait voir
l’os et une oreille qui manquait, comme son bras gauche, sans compter des trous
partout. Mais c’était mon grand-père. Quand j’étais gosse, il me racontait des
histoires de pirates, il me faisait des dessins avec des cavaliers qui
chargeaient, bannière au vent. Seulement lui aussi avait faim. Seulement lui
aussi a commencé à me regarder d’une drôle de façon, comme autrefois maman.
Quand il a tenté de me mordre avec les dents pourries qui lui restaient, pas
beaucoup, j’ai dû me résoudre à l’enfermer dans la chambre de mes parents.
Alors il s’est mis à taper sur la porte, à taper, à taper, sans cesse, jour et
nuit. Brang, brang, brang. Il avait
faim. Combien de temps qu’il n’avait pas mangé ? Des semaines,
probablement. Des mois, si ça se trouve. Ce qu’il y a de particulier, dans
notre état, c’est que, même en souffrant d’une faim perpétuelle, on peut rester
des semaines, des mois sans manger. Comme
les reptiles, il paraît. Comme le crocodile dans son marigot, qui attend, qui
attend. On se dégrade peu à peu, on perd de la substance, mais on résiste. On
ne m… Quel idiot je suis ! J’allais dire : on ne meurt pas.
*
Brang,
brang, brang.
Je ne sais pas si c’est ce martèlement continu
contre la porte, qui allait finir par me rendre fou, ou la torture de plus en
plus intense de la faim, mais il a bien fallu que je m’y résolve. À manger
grand-père. La fesse et la cuisse, pour commencer Arrrhhhhh… (« Je suis
désolé, papy, mais j’ai trop la dalle ! ») Arrrhhhhh… (« Fais ce que tu
dois faire, gamin. À mon âge, tu sais… ») Alors je l’ai fait. Petit
morceau par petit morceau, pour économiser. Au long des jours, des semaines,
des mois qui ne passaient plus. Comme pour maman, je l’ai dévoré jusqu’à l’os.
Et même les os, je les ai sucés longtemps, longtemps, pour me donner l’illusion
de manger encore. Ensuite j’ai eu l’idée de briser au marteau les plus gros,
les fémurs, les vertèbres, pour en extirper la moelle. Mais ça n’a pas duré. Et
j’avais faim, j’avais faim.
Qu’est-ce qu’il fallait que je fasse ? Il n’y a plus personne, dehors.
J’ai faim, j’ai faim.
À un moment ou un autre, je me suis surpris à me lécher le gras de l’épaule. À me mordiller la chair. Comme autrefois maman. C’était un peu dur, assez salé mais, dans l’état de dénutrition dans lequel je me trouvais, j’ai trouvé ça délicieux. J’ai mordu plus fort, du tranchant de mes incisives. Je me suis trouvé délicieux.
Il n’y a que le premier pas qui coûte, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce qu’il fallait que je fasse ? Il n’y a plus personne, dehors.
J’ai faim, j’ai faim.
À un moment ou un autre, je me suis surpris à me lécher le gras de l’épaule. À me mordiller la chair. Comme autrefois maman. C’était un peu dur, assez salé mais, dans l’état de dénutrition dans lequel je me trouvais, j’ai trouvé ça délicieux. J’ai mordu plus fort, du tranchant de mes incisives. Je me suis trouvé délicieux.
Il n’y a que le premier pas qui coûte, n’est-ce pas ?
*
J’ai continué. L’épaule, le bras, ce qui me
restait de viande sur le torse, entre les côtes, sur les hanches.
J’ai continué.
En me rationnant, en me contentant de peu. Une bouchée par-ci, une bouchée par là. Bien sûr, je ne me reconstitue pas autant que je me mange. Mais en faisant gaffe, je peux durer longtemps. Des semaines, des mois. Des années, si ça se trouve. En restant peinard dans ma chambre, comme le crocodile dans son marigot, qui attend, qui attend.
Oui, dans ce temps immobile, je peux durer longtemps. Pas vrai, grand-père ?
Mange ta main et garde l’autre pour demain.
J’ai continué.
En me rationnant, en me contentant de peu. Une bouchée par-ci, une bouchée par là. Bien sûr, je ne me reconstitue pas autant que je me mange. Mais en faisant gaffe, je peux durer longtemps. Des semaines, des mois. Des années, si ça se trouve. En restant peinard dans ma chambre, comme le crocodile dans son marigot, qui attend, qui attend.
Oui, dans ce temps immobile, je peux durer longtemps. Pas vrai, grand-père ?
Mange ta main et garde l’autre pour demain.
Un cordiale benvenuto a Jean-Pierre sulle pagine di Pegasus
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